La biénergie et la gestion de la demande de puissance (GDP) sont deux options particulièrement intéressantes pour les entreprises et les gestionnaires de parc immobilier qui souhaitent optimiser leur consommation d’énergie et réduire leurs émissions de GES sans influencer la demande de puissance sur le réseau électrique.
Dans cet article, nous vous proposons un aperçu des caractéristiques de ces deux solutions et de la manière dont elles se comparent concrètement.
Biénergie 101
La biénergie1, une offre conjointe d’Énergir et d’Hydro-Québec, consiste à remplacer un système de chauffage fonctionnant uniquement au gaz naturel par un système fonctionnant à l'électricité dans la majorité du temps. En effet, le gaz naturel prend le relais lors de périodes de temps froid (lorsque la température extérieure descend sous -12 °C ou -15 °C selon la région), quand la demande en électricité est très forte sur le réseau d’Hydro-Québec. Elle permet ainsi de consommer la bonne énergie au bon moment et au meilleur coût pour chauffer plus efficacement les bâtiments et réduire leurs émissions de GES.
La GDP en bref
La gestion de la demande de puissance (GDP), une option tarifaire d’Hydro-Québec, consiste pour un client à réduire la consommation électrique de ses bâtiments ou de ses procédés durant les périodes de très forte demande (les « événements de pointe ») afin de limiter la pression sur le réseau. Pour ce faire, le client peut, durant l’événement de pointe signalé par Hydro-Québec, diminuer sa demande en électricité ou utiliser une source d’énergie d’appoint (une génératrice ou un accumulateur thermique, par exemple), ou encore déplacer sa production ou ses horaires de travail à d’autres moments de la journée. À la fin de l’hiver, le client reçoit un crédit calculé d’après la puissance interruptible effective, c’est-à dire la moyenne des réductions de puissance réalisées lors de tous les événements de pointe.
Le jeu des différences
Si ces deux solutions permettent de réduire l’appel de puissance sur le réseau électrique lors des périodes de grand froid, elles diffèrent à plusieurs égards – à commencer par le fait que la GDP est une option tarifaire volontaire. Autrement dit, rien n’oblige le client à réduire son appel de puissance chaque fois
qu’Hydro-Québec l’invite à le faire. La biénergie, en revanche, implique l’installation d’un dispositif de permutation qui permet de basculer d’une source d’énergie à une autre automatiquement selon la température extérieure, ainsi que l’installation d’un compteur électrique dédié aux charges de chauffage. Bref, l’effacement de la puissance est garanti, ce qui augmente à la fois les bénéfices pour le client ainsi que l’impact sur le réseau électrique. En effet, à bâtiment équivalent, le dimensionnement d’un équipement de chauffage électrique en biénergie (jusqu’à la température de permutation de -12 ou -15 °C) est beaucoup moins pénalisant pour le réseau électrique que le dimensionnement d’un équipement de chauffage tout électrique, pour lequel on doit prévoir une capacité suffisante pour les températures les plus froides de l’hiver, malgré le recours à la GDP. Il est donc possible de mieux répartir l’allocation de la puissance disponible sur le réseau électrique en optant pour la biénergie.
La biénergie et la GDP présentent aussi d’autres caractéristiques et avantages distincts résumés dans le tableau ci-dessous.
Biénergie CI | Gestion de la pointe | |
Incitatifs monétaires |
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Clientèles cibles |
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Admissibilité |
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Avantages |
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Inconvénients |
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Mesurage et compatibilité des deux options |
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Des résultats chiffrés et contrastés
Voyons maintenant comment la biénergie et la GDP se comparent « sur le terrain » à l’aide de deux scénarios réalistes.
Scénario 1 : consommation en chauffage d’un bâtiment fictif de 91 000 m3/an de gaz naturel
Scénario 1A : un client décide d’installer une chaudière électrique d’une puissance de 400 kW, lui permettant de répondre à l’entièreté du besoin en chauffage de son bâtiment et ainsi, de réduire sa consommation de gaz naturel d’environ 91 000 m3 annuellement. Afin de limiter son impact sur la pointe électrique, il adhère à l’option tarifaire de GDP afin de bénéficier d’un crédit sur sa facture électrique annuelle en échange d’un effacement de sa consommation électrique en période de pointe. En effet, lors de ces périodes, il bascule la charge de chauffage du bâtiment sur ses chaudières au gaz naturel existantes afin de réduire au maximum la puissance électrique appelée.
Scénario 1B : dans le même bâtiment, le client installe une chaudière électrique en mode biénergie. La biénergie faisant appel à deux sources d’énergie (électricité et gaz naturel à partir de -12 °C), les besoins de puissance électrique sont moins élevés, si bien qu’une chaudière de 270 kW (-130 kW) est suffisante.
Scénario 1C : le client installe la même chaudière de 270 kW en mode biénergie (comme dans le scénario 1B), mais opte pour 100 % de gaz naturel renouvelable (GNR) au lieu du gaz naturel fossile lorsque la chaudière au gaz prend le relais de la chaudière électrique.
Référence gaz | Option 1A : électrique avec GDP |
Option 1B : biénergie |
Option 1C : biénergie + GNR |
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Facture totale annuelle ($)*,**,***,**** | 45 940 $ | 77 820 $ | 50 564 $ | 58 397 $ |
Coût énergétique unitaire ($/GJ) | 13,32 | 27,68 | 17,94 | 20,72 |
Puissance appelée maximale (kW) | 0 | 399 | 270 | 270 |
Réduction de GES (tonnes de CO2 éq.)† | 0 | 171,7 | 143,8 | 174,6 |
* La facture annuelle électrique est de 102 388 $ et le crédit GDP de 25 673 $
** Puissance interruptible effective : 375 kW
*** Tarif électrique en vigueur au 1er avril 2023
**** Tarif de gaz naturel ($/m3) : Molécule : 0,15, Transport : 0,03212, Équilibrage : 0,04189, SPEDE : 0,09128, Distribution : Juin 2023
† Ibid., 3
De toutes les solutions de réduction de pointes électrique, on constate que l’option biénergie est la plus économique en termes de coûts énergétiques et que l’option biénergie + GNR permet une réduction des émissions de GES équivalentes3 à l’option électrique avec GDP, mais à un coût nettement inférieur (-19 423 $ sur un an).
Scénario 2 : Comparaison entre deux bâtiments ayant le même appel de puissance électrique
Dans ce deuxième scénario, on projette le rendu énergétique des deux options sur deux bâtiments fictifs différents possédant chacun une chaudière électrique de même capacité et également équipé d’une chaudière fonctionnant au gaz naturel utilisée pendant les périodes de pointe. Pour une puissance totale de 400 kW en chauffage, un bâtiment chauffé à 100 % à l’électricité et participant à la GDP ne pourra économiser que 90 000 m3 de gaz annuellement. Le même client qui décide d’installer une chaudière électrique de 400 kW dans un autre bâtiment, mais en mode biénergie cette fois-ci, sera en mesure de réduire sa consommation de gaz naturel de 135 000 m3. Comme le montre le tableau ci-dessous, la biénergie lui permet d’améliorer considérablement les performances environnementales de son parc de bâtiments par rapport à une conversion complète à l’électricité (+41 tonnes de GES évitées) la quantité de gaz naturel remplacée étant plus grande. En résumé, pour un même appel de puissance sur le réseau électrique, la réduction des émissions de GES est de 24 % supérieure avec la biénergie par rapport à la GDP4.
Bâtiment tout électrique avec GDP | Bâtiment biénergie | |
Consommation de chauffage de référence au gaz (m3) | 91 000 | 135 000 |
Coût énergétique unitaire ($/GJ) | 27,68 | 17,78 |
Puissance appelée maximale (kW) | 400 | 400 |
Économie de gaz naturel (m3) | 89 578†† | 110 957 |
Réduction de GES (tonnes de CO2 éq.) | 171,7 | 212,7 |
†† La consommation résiduelle de gaz naturel vient du fonctionnement des chaudières au gaz naturel durant les événements GDP.
Cette comparaison nous permet de constater que le scénario biénergie permet une économie absolue de la consommation de gaz naturel supérieure au scénario tout électrique pour une même allocation de puissance électrique du réseau d’Hydro-Québec. Ceci est explicable par le fait que le nombre d’heures passées à une température inférieure à -12 °C annuellement est très faible et ainsi que le déplacement de la consommation du gaz naturel vers l’électricité est important. En effet, le facteur d’utilisation du bloc de puissance de 400 kW alloué au bâtiment biénergie est plus grand que celui alloué à un bâtiment 100 % électrique. Il permet donc de déplacer une plus grande consommation de gaz naturel en mode biénergie. D’un point de vue sociétal, ce bloc de puissance est donc utilisé plus judicieusement lorsqu’employé dans un bâtiment fonctionnant à la biénergie que dans un bâtiment totalement électrifié.
En conclusion…
Ces deux scénarios montrent clairement que pour l’allocation d’un même bloc de puissance – et donc une incidence équivalente sur le réseau électrique, la biénergie permet d’effacer davantage de GES que la GDP5. D’autre part, pour un même bâtiment, la biénergie permet également une réduction plus importante des coûts d’exploitation grâce au recours au gaz naturel (voire même au recours à du GNR) en période de grands froids. Si elle nécessite un investissement de départ plus important – qui peut être en partie compensé par l’obtention de subventions couvrant jusqu’à 80 % des surcoûts –, la biénergie permet des économies récurrentes qui en font une solution pérenne pour les clients commerciaux et institutionnels à la recherche d’une solution de décarbonation efficace pour leurs bâtiments.
Pierre-Olivier Nadeau
Conseiller principal expertise énergétique
Groupe DATECH
1 Aux fins de la comparaison entre les deux solutions, l’offre présentée dans cet article est l’offre biénergie commerciale et institutionnelle (CI).
2 Programme ÉcoPerformance
3 Selon le facteur d’émission attribué au biométhane visant les émissions de méthane et d’oxyde nitreux dans le protocole QC. 30 du Règlement sur la déclaration obligatoire de certaines émissions de contaminants dans l’atmosphère (RDOCÉCA) L.R.Q., Q-2, r.15) comparativement au facteur d’émission attribué à l’électricité au Québec au protocole QC 17 dans ce même règlement. Les émissions de CO2 biogéniques (le terme biogénique référant à ce qui est produit par les organismes vivants et donc au cycle court du carbone par opposition au cycle long qui a généré les combustibles fossiles) lors de la combustion du biométhane ne sont pas incluses dans ce facteur. Les émissions de CO2 biogénique ne sont pas visées dans les objectifs gouvernementaux de la lutte contre les changements climatiques. Les facteurs utilisés dans ce bulletin sont à titre indicatif. Un émetteur assujetti au RDOCÉCA doit suivre le ou les protocoles du RDOCÉCA applicables à ses activités.
Les émissions de CO2 biogénique attribuables à la combustion ou à l’utilisation de la biomasse et de biocombustibles doivent être déclarées, mais n’ont pas à être vérifiées et n’ont pas à être couvertes en vertu du Règlement concernant le système de plafonnement et d’échange de droits d’émission de gaz à effet de serre.
4 Ibid., 1
5 Ibid., 1
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